Les Calanques dans la peinture
De la grotte Cosquer Ă lâart moderne

Barques dans la calanque de Sormiou, par Joseph Inguimberty

Route de la Gineste, 1859, par Paul Guigou © MusĂ©e dâOrsay / RMN â photographie Anthony Zec
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La mer et la roche, dĂ©sertĂ©es ou peuplĂ©es de pĂȘcheurs, de pĂątres et dâanimaux, offrent une variĂ©tĂ© infinie de motifs et de tons. Ces sujets sont rehaussĂ©s, et mĂȘme glorifiĂ©s, par une lumiĂšre qui a marquĂ© lâhistoire de lâart mondial. Tour dâhorizon en compagnie de quelques maĂźtres de la palette.
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Du paléolithique au néo-classique
Tout commence avec la grotte Cosquer, oĂč les premiers hommes reprĂ©sentent les animaux sâĂ©battant jadis sur le territoire du Parc national : chevaux, bouquetins, cerfs, bisons⊠Les dĂ©cors animaliers se poursuivent avec les peintures antiques et mĂ©diĂ©vales. Puis câest le temps des marines et des reprĂ©sentations navales, dont le chef de file est Joseph Vernet. Les vues du terroir Ă©mergeront avec le siĂšcle des LumiĂšres et les premiĂšres bastides, en particulier dans les Ćuvres de Constantin dâAix : prĂ©curseur de la peinture provençale, il sera le maĂźtre de Granet.
Suivront Paul Flandrin, lâun des meilleurs paysagistes classiques, Ă©lĂšve dâIngres, qui peint Marseilleveyre et lâĂźle MaĂŻre â et surtout Pierre Puvis de Chavannes. Sa fresque Marseille, colonie grecquemontre la ville se construire Ă partir de la roche extraite localement, comme une image allĂ©gorique de la pierre de Cassis qui a notamment servi Ă bĂątir les rues de la citĂ© phocĂ©enneâŠ
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Les écoles provençale et marseillaise
Ils sont pour la plupart passĂ©s par les Beaux-Arts de Marseille, et les plus cĂ©lĂšbres se nomment Ămile Loubon (que lâĂ©crivain Joseph MĂ©ry appelle « le peintre gĂ©ologue de notre Midi »), Jean-Baptiste Olive, Paul Guigou, Vincent Courdouan. Citons aussi RaphaĂ«l Ponson, le « peintre des Calanques », et Joseph Garibaldi, qui frĂ©quente La Ciotat, invitĂ© par la famille LumiĂšre. Leur peinture, Ă©blouissante, nous offre des paysages panoramiques, dans une maniĂšre solaire, contrastĂ©e, entre naturalisme et romantisme.
La visĂ©e de ces Ă©coles est plus esthĂ©tique que documentaire, bien que, dans certaines toiles, les paysages sont reconnaissables et les pratiques (halieutiques et pastorales surtout) bien dĂ©crites. Mais Loubon nâhĂ©site pas Ă augmenter la hauteur des collines, Guigou Ă les rendre plus chaotiques encore, Olive Ă rĂ©interprĂ©ter les couleurs de la pierre.
Alors que la photographie se dĂ©mocratise, le projet de ces artistes est multiple : Ă©voquer la beautĂ© et lâesprit des lieux, Ă©tudier les mĂ©tamorphoses de la lumiĂšre au contact de la matiĂšre, et faire naĂźtre des sensations contradictoires face Ă cette nature aussi apaisante et accueillante quâindomptable et sauvage. En bref : poĂ©tiser le paysage. Cela semble dâautant plus nĂ©cessaire que câest lâĂ©poque oĂč lâurbanisation et lâindustrie commencent Ă gagner du terrain, et mettent la nature en pĂ©ril.
Les peintres de cette pĂ©riode sont majoritairement locaux. Mais une premiĂšre gare a Ă©tĂ© construite Ă Marseille en 1848 et, dix ans plus tard, le train arrive Ă Cassis et La Ciotat. Lâouverture de la ligne PLM facilite, Ă la suite de CĂ©zanne, originaire dâAix-en-Provence, la descente des artistes vers le Sud. Symbole de ce rayonnement, Jean-Baptiste Olive et Raymond AllĂšgre dĂ©corent de marines la gare de Lyon Ă Paris.
Mais les peintres modernes voudront sâĂ©manciper des acadĂ©mies, et les paysages calanquais vont jouer un rĂŽle considĂ©rable dans lâavĂšnement de cette rĂ©volution artistique.
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De la révolution cézanienne au cubisme
Cette nouvelle gĂ©nĂ©ration va dĂ©passer lâimpressionnisme, que lâun de ses prĂ©curseurs, FĂ©lix Ziem, avait dĂ©jĂ irisĂ© de soleil. LâatmosphĂšre et la lumiĂšre provençales bouleversent les conceptions chromatiques. AprĂšs Stendhal qui sâĂ©tonnait en 1837 de la transparence de lâair, câest surtout Paul CĂ©zanne qui Ă©crira en 1876 : « Le soleil est si effrayant quâil me semble que les objets sâenlĂšvent en silhouette non pas seulement en blanc ou noir, mais en bleu, en rouge, en brun, en violet. Je puis me tromper, mais il me semble que câest lâantipode du modelĂ©. » Le « pĂšre de lâart moderne » peindra des toiles mondialement connues, oĂč le massif de Marseilleveyre vient Ă©quilibrer les compositions.
Ă partir de 1906, la rĂ©gion devient un foyer de recherches picturales. Georges Braque y sĂ©journe et radicalise les principes esthĂ©tiques de CĂ©zanne. Dâabord hĂ©raut du fauvisme, il fonde avec Picasso le cubisme, ce courant qui n'aurait peut-ĂȘtre pas vu le jour sans cette lumiĂšre si typique qui dĂ©coupe les formes avec une prĂ©cision gĂ©omĂ©trique⊠Plus tard, câest Francis Picabia qui dessinera des arbres cubistes Ă Cassis.
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Lâexplosion des formes et des couleurs
Si Van Gogh dĂ©sirait venir dans le Sud, câĂ©tait pour y rencontrer Adolphe Monticelli, dont il admirait lâusage du jaune et la technique au couteau et en pleine pĂąte. Il Ă©crivait mĂȘme quâil voulait « continuer son Ćuvre », comme sâil Ă©tait « son fils ou son frĂšre »âŠ
Toutes ces nouvelles façons de voir et de peindre vont transfigurer le paysage provençal : idĂ©alisĂ©, dĂ©structurĂ©, bigarrĂ©, il acquiert une vie et une folie jamais vues jusquâalors sur une toile. On y voit mĂȘme apparaĂźtre des nymphes et des plantes exotiques, exaltĂ©es Ă la maniĂšre orientaliste.
Les Calanques sont alors représentées par les plus importants courants post-impressionnistes :
Le fauvisme est investi, en mĂȘme temps que Braque, par AndrĂ© Derain, Raoul Dufy, Charles Camoin, Henri Manguin, RenĂ© Seyssaud et Othon Friesz : ce dernier nous livre des toiles fascinantes du bec de lâAigle et de Figuerolles.Le pointillisme est incarnĂ© par Paul Signac et Henri Person, qui parcourent la cĂŽte sur leur voilier : le Sinbad. Ă Cassis, Signac Ă©crira dans une lettre Ă Van Gogh datĂ©e du 12 avril 1889 : « Du blanc, du bleu, de lâorange, harmoniquement dispersĂ©s dans de jolis mouvements de terrain. Notre vert VĂ©ronĂšse et notre bleu de cobalt sont de la merde Ă cĂŽtĂ© de ces flots mĂ©diterranĂ©ens ».Le symbolisme, portĂ© par Puvis de Chavannes, est continuĂ© par Lucien LĂ©vy-Dhurmer et Jean Francis Auburtin.Enfin, David Dellepiane est un touche-Ă -tout : il reprĂ©sentera les pratiques agro-pastorales et accĂšdera Ă la renommĂ©e avec son affiche commĂ©morant le 25e centenaire de la fondation de Marseille.
Dâautres se placent dans ce sillage, avec notamment Winston Churchill, qui fut aussi un peintre estimĂ© ! Il est lâĂ©lĂšve de Louis Audibert, lui-mĂȘme ami dâAlbert Marquet, de MoĂŻse Kisling et de Louis-Mathieu Verdilhan, qui ont tous peint Marseille et ses alentours.
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Tradition et modernité
Les affiches de tourisme des annĂ©es 1920-1930 sâempareront de ces innovations graphiques, vantant les charmes de Cassis, de La Ciotat et du littoral mĂ©diterranĂ©en, sous le pinceau dâAlbert Duvernoy ou de Julien Lacaze, remis au goĂ»t du jour par Richard Zielenkiewicz.
Ă Cassis, lâartiste et philanthrope amĂ©ricain Jerome Hill, le fondateur de la Fondation Camargo, reproduira les paysages calanquais dans de nombreuses peintures. Les rĂ©volutions picturales se poursuivront tout au long du siĂšcle avec les rochers stylisĂ©s de Jean Dubuffet, les toiles saturĂ©es de Pierre Ambrogiani (ami de Pagnol et de Giono) et de Georges Briata, les paysages sensibles de Joseph Inguimberty, ceux du peintre-alpiniste Ange Abrate, et la naissance de lâart contemporain avec Vincent BioulĂšs. Et aujourdâhui, de nombreux artistes locaux perpĂ©tuent ces traditions, telles Gwendoline Pieters ou Marie-Laure Sasso-LadouceâŠ
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« Le travail ne va pas, mais pas du tout. Le pays est trop beau. »
André Derain à Cassis, Lettre 72 à Vlaminck